Dufresne, Charles

CHARLES DUFRESNE

Retour à l'accueil - Cette page contient la biographie, une liste non exhaustive des expositions et des résultats de ventes publiques du peintre

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" Début 1925, le docteur Tzanck décide de décongestionner sa collection forte d'un millier d'oeuvres. La vente détermine la cote des artistes contemporains : 5.000 francs pour Derain et Dufresne, un peu moins pour Dufy et Marquet, 1.500 francs pour Modigliani et Van Dongen " (Michel Charzat, La Jeune Peinture Française)

Biographie

Charles Dufresne est un des peintres majeurs du début du 20ème siècle en France. Né le 23 novembre 1876 d'une famille de marins et pêcheurs de Granville et des îles Chausey, il abandonne sa scolarité en 1887 et fait un apprentissage chez un graveur. Il reçoit une formation académique à l'École des beaux-arts de Paris dans l'atelier de gravure en médailles d'Hubert Ponscarme, puis devient l'assistant du médailleur et sculpteur Alexandre Charpentier.

Plus attiré par la peinture, il se met à peindre au pastel des scènes parisiennes de café-concert, de cirques et de guinguette un peu dans l'esprit de Toulouse-Lautrec. Certaines de ces œuvres sont conservées à Paris au musée Carnavalet. Il expose au Salon de la Société nationale des beaux-arts dont il devient sociétaire en 1903, et se lie alors d'amitié avec André Dunoyer de Segonzac, Jean Frélaut et Charles Despiau.

Entre 1900 et 1908, il devient très ami avec un jeune graveur américain Herbert Lespinasse qu'il accompagnera en Italie lors d'un long voyage en 1903. Durant ce séjour, ils passeront quelques jours à la villa Médicis à Rome. Durant l'été 1908, il sera invité par Jean Frélaut en Bretagne et rencontrera Henry de Waroquier.

En 1910, il concourt avec un pastel au Prix Abd-el-Tif, qu´il remporte. Il réside alors durant deux années à la villa Abd-el-Tif à Alger. Libéré de toutes contraintes matérielles, il découvre la lumière et les couleurs d’Afrique du Nord ainsi qu’une approche moderne de la pratique artistique. Il passe alors du pastel à l’aquarelle pour traduire son émerveillement face à ce rêve oriental, puis à la peinture à l'huile. Décisives, ces deux années marqueront son parcours de façon indélébile. De retour à Paris en 1912 dans son atelier de l'île Saint-Louis, il peint dans des couleurs luxuriantes des scènes orientales issues de son imagination et de ses souvenirs. Juste avant la Première Guerre mondiale, il est influencé par certaines écoles nouvelles, ses formes se simplifient ses couleurs deviendront plus sombres.

En 1914, Dufresne est mobilisé. Gravement atteint par les gaz, il est transféré à la section camouflage de l'armée avec Charles Despiau, Roger de La Fresnaye et le poète Charles Vildrac sous les ordres de Dunoyer de Segonzac. À cette époque, il excelle dans l'art de scènes de guerre cubistes.

Il revient de la guerre avec une palette plus sombre et un style post-cubiste. Entre 1918 et 1921, il peint beaucoup de portraits, de paysages de Normandie et des natures mortes. En 1921, Jacques Rouché, directeur de l'Opéra de Paris, lui commande les décors du ballet Antar. En 1923, il est l'un des cofondateurs du Salon des Tuileries.

" Paul Fort, Maurice Chevrier et moi-même manquions bien peu des programmes de la Gaîté-Montparnasse où nous suivîmes souvent des peintres tels que Maurice Asselin et Charles Dufresne. Quarante sous donnaient droit à un fauteuil d'orchestre, à une cerise à l'eau-de-vie et aux chansons. Ca ne coûtait pas beaucoup plus cher, si l'on s'offrait des places de loge, l'un des peintres, presque toujours Dufresne, se voulant à l'aise pour prendre croquis, de la scène à la salle, encombré de plus ou moins de matériel " (André Salmon, Montparnasse)

C'est entre 1921 et 1923 que ses amis Louis Süe et André Mare , créateurs de La Compagnie des Arts Français, lui commandent des cartons de tapisseries sur le thème de Paul et Virginie. Destiné à recouvrir des sièges d'un mobilier de salon, le tissage est fastidieux et couteux, tant ses compositions révolutionnent la tapisserie traditionnelle. Le collectionneur Charles Pacquement tombera sous le charme du canapé et commandera la réalisation complète de l'ensemble qui sera présenté à l'Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de Paris en 1925, où il remporte un vif succès.

Il enseigne à l'Académie scandinave à des peintres comme Maria Elena Vieira da Silva ou Jacques Despierre.

À partir de 1930, ses couleurs deviennent définitivement chatoyantes et il peint alors des scènes religieuses, mythologiques, de chasses aux fauves, ou encore de plage.

" En novembre 1925, le couturier Paul Poiret doit mettre aux enchères sa collection de tableaux... Des natures mortes établissent la cote de Dufresne (19.000 francs), Picasso (11.200 francs) et Boussingault (3.800 francs) " (Michel Charzat, La Jeune Peinture Française)

En 1936, Guillaume Janneau, directeur du Mobilier national, le charge de composer des cartons de tapisserie pour un mobilier de Rollin sur le thème de La Plage ou les Plaisirs de l'été. Ce canapé est aujourd'hui déposé au Conseil constitutionnel.

La même année, afin de préparer l'exposition universelle de 1937, il est chargé de la décoration de deux panneaux dans le grand foyer du palais de Chaillot, et réalise également deux paravents sur le thème des amazones intégrés dans "une Ambassade Française" de Louis Sue, sur le stand du pavillon des artistes décorateurs. Pour sa dernière commande de l'Etat en 1938 il peint cinq grandes peintures murales pour l'amphithéâtre de la faculté de pharmacie de Paris qu'il termine juste avant de mourir le 8 août 1939 à La Seyne-sur-Mer.

La Biennale de Venise lui rend hommage en 1938 en lui consacrant une salle entière.

" Méconnu ? Allons donc, il est l'un des peintres français du XXème siècle les mieux représentés dans les collections pubiques. Au moins 80 musées dans le monde, dont une vingtaine aux Etats-unis " (Michel Charzat)

Si l'oeuvre du peintre vous intéresse, je vous invite à continuer la lecture de cette page. Mais laissons la parole à Michel Charzat dans son ouvrage "La jeune peinture française" parue aux éditions Hazan en 2010 :

" Dufresne n'est pas un artiste qui permet de conclure péremptoirement. Méconnu ? Allons donc, il est l'un des peintres français du XXème siècle les mieux représentés dans les collections pubiques. Au moins 80 musées dans le monde, dont une vingtaine aux Etats-unis. Inclassable, certainement, avec cette intrication des styles qui brouille les pistes. Inégal, assurément, car il laisse des chefs-d'oeuvre et un nombre appréciable d'oeuvres sur toile et sur papier abouties. Mais aussi des ébauches de moindre intérêt. Celles qui circulent fréquemment. Faut-il s'en étonner ?

Exigeant, farouchement indépendant, Dufresne a tenté de dépasser les contradictions des modes picturales de l'époque où il vivait. Son oeuvre illustre l'infirmité et la force de l'art au début du XXème siècle. Dufresne est, tout bien considéré, un maître des antinomies de l'art moderne. A défaut de les surmonter, il a eu l'ambition d'apprivoiser les grandes oppositions artistiques de la peinture de son temps. Opposition entre le réalisme et l'irréalisme ; il n'abandonne jamais l'objectivité, ayant besoin du spectacle du réél, par exemple de la vue du palmier de son jardin pour réinventer l'Orient. Mais constamment il déborde le réalisme par son imaginaire qui l'aventure aux confins de l'irréalisme, de l'expressionisme et de l'abtraction. Opposition entre le Cubisme et le Fauvisme : il retient de celui-ci l'expressivité et la couleur pure ; de celui-là la méthode qui lui permet de maîtriser sa fougue. Opposition entre l'avant-garde et la tradition : son clacissisme non académique a recours à certaines techniques picturales audacieuses, notamment ses griffures reprises par ses élèves Gruber et Vieira da Silva ainsi que ses techniques mixtes, à base d'huiles diluées d'essence. Enfin opposition entre peinture de chevalet et grande décoration : Dufresne refuse de faire une distinction entre une peinture ou un dessin et une décoration. Aussi ses gravures ont-elles un aspect monumental et ses grandes compositions conservent-elles la séduction du détail d'une peinture de chevalet.

"L'avenir dira sans doute : Il était un grand peintre qui s'appelait Charles Dufresne et sur lequel peu de documents subsistent" écrivait Roger-Marx au lendemain de sa disparition. Soixante-dix ans après, on reste suspendu au verdict de la postérité. Car rien, ou presque, n'a permis de (re)voir l'oeuvre. On attend la rétrospective parisienne, la publication d'un ouvrage de référence ou du catalogue raisonné qui permettront, enfin, de "forcer la solitude seigneuriale de Dufresne" (Georges Busse). "

Chronologie

1876 : Naissance de Charles Dufresne, le 23 novembre à Millemont (Seine et Oise). Il est issu d’une famille de marins qui avaient vécu à Granville et aux Iles Chausey. Très jeune, il est apprenti graveur en plaques de cuivre, puis il entre à l’Ecole nationale des Beaux-Arts dans l’atelier de François Ponscarme, graveur en médailles. Ensuite au service d’Alexandre Charpentier, graveur en médailles et sculpteur, il s’initie à la sculpture. Le soir, il réalise des croquis dans les music-hall, les cafés-concerts, les cirques et exécute des tableaux d’après ces dessins : ce sont des pastels et ensuite des peintures à la colle.

1905 : Salon de la Société des Artistes Indépendants : il y présente des pastels. Durant l’été 1908, au cours d’un séjour en Bretagne, le graveur Jean Felaut le présente à Henri de Waroquier.

1910 : Il obtient le Prix de l’Afrique du Nord qui lui permet de séjourner durant deux années à la Villa Abd el Tif à Alger. Il fait la connaissance de Frédéric Lung et de Louis Meley qui seront de ses collectionneurs. Voyage dans le sud algérien (Boghari, Bou-Saâda). Il devient sociétaire de la Société nationale des Beaux-Arts où il aura l’occasion d’exposer. Il commence à peindre à l’huile et réalise également des aquarelles et des gouaches.

1912 : De retour à Paris, il s’installe dans l’Ile Saint-Louis, quai d’Orléans, se réservant un atelier quai d’Anjou, face au Pont-Marie. C’est l’époque où il rencontre Dunoyer de Segonzac, Boussingault et Luc-Albert Moreau.

1913 : Mobilisé au 33e Régiment d’Infanterie, il est brancardier-infirmier, puis vaguemestre. Atteint par les gaz, il est transféré à la Section de Camouflage de la IIIe Armée que dirige le Lieutenant Dunoyer de Segonzac. Dans un esprit cubiste, proche de Roger de la Fresnaye, compagnon d’armes, il réalise des dessins et des aquarelles de guerre.

1921 : Jacques Rouché, Directeur de l’Opéra lui commande des décors pour Antar, qui sera représenté à l’Opéra.

1923 : Il est un des fondateurs du Salon des Tuileries où il expose cette année-là.

1924 : Süe et Mare lui commandent des cartons de tapisserie, sur le thème de Paul et Virginie, destinés à un mobilier qui sera exposé en 1925 à l’Exposition des Arts Décoratifs. Les tapisseries sont réalisées à Aubusson par l’atelier Lauer de Cogolin.

1936 : Commande par Guillaume Janneau, Directeur du garde-meuble national de cartons de tapisserie pour décorer un mobilier de Rollin, sur le thème, « La plage et les plaisirs de l’été » dont les tapisseries seront confiées à la Manufacture de Beauvais.

1937 : À l’exposition « Les maîtres de l’art indépendant », au Petit Palais, une salle lui est consacrée. Commande par Georges Huisman, Directeur des Beaux-Arts de deux panneaux pour le Foyer du Palais de Chaillot, sur le thème « Le théâtre de Molière ».

1938 : Commande par Louis Hautecoeur de cinq toiles pour un amphithéâtre de l’Ecole de Pharmacie de Paris. Charles Dufresne meurt le 8 août à La Seyne (Var). Un hommage lui est rendu à la Biennale de Venise où une salle entière lui est consacrée.

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Les ondines de la Marne (1921)

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Les étapes de la peinture française contemporaine (Bernard Dorival, Gallimard, 1946, extraits des pages 120 à 138, tome 3)

Dans la somme en trois tomes qu'il consacra à la peinture française pour la période allant de l'Impressionnisme jusqu'au terme de la Seconde Guerre mondiale, Bernard Dorival consacre un chapitre très important à Charles Dufresne, dans lequel il écrit :

... " Ce don de moraliste fit de Dufresne un dessinateur de mœurs. De 1906 à 1910, il croque des scènes de music-hall, de terrasses de cafés, de cirque, enlevées avec une telle prestesse qu'il n'a pas le temps d'imiter personne, et que son talent peut parler librement. A lui laisser ainsi la bride sur le cou, il lui donne peu à peu du nerf. Aussi, dans toute sa production de jeunesse, la partie la meilleure est-elle sans doute ses dessins. "

Puis au sujet des Ondines de la Marne :

..." Qui raille les choses ne croit pas en elle. Les esprits concrets comme celui de Segonzac ne se permettent pas une telle attitude, qui leur paraîtrait presque sacrilège. Du jour où Dufresne fit place dans sa peinture à l'ironie, il était en marche vers l'Irréalisme, dont la forme cubiste rallia un moment ses suffrages, aux alentours de 1918. C'est alors qu'il peignait ses Ondines de la Marne, et son Beau Dimanche en Normandie (...). A cette époque l'amour de la construction et de la robustesse fait rechercher à Dufresne les formes sobres, puissantes et sévères, que limitent des segments de droites se coupant à angle droit et des courbes faciles à mettre en formules. Des plans simplifiés se rencontrent suivant des ligne aigües, qui donnent aux objets une grande puissance, ainsi que dans la Nature morte au torse antique du Petit Palais, un des chefs-d'oeuvre de l'auteur. Le buveur attablé au centre des Ondines de la Marne constitue l'expérience plastique la plus significative du peintre en ce domaine ; son avant-bras formé par un cylindre s'emboîte dans la sphère ovoïde de la partie supérieure du bras ; son chapeau melon dessine un demi-cercle ; les droites de son veston se raccordent à celles de sa tête par une courbe régulière, et ses moustaches sont retroussées selon des courbes non moins géométriques. De telles formes pèsent si lourdement que rien ne saurait les mouvoir (...) Dufresne a donné aux acteurs de la scène une de ces attitudes sans équivoque ni imprévu, hiératique et immense, et propre à leur conférer une surprenante noblesse (...) Que font là cet homme et ces femmes que le caprice du peintre a rassemblé, où ? Sous une tonnelle de Joinville-le-Pont ? Sur un support plutôt. Ils n'y font rien que le meubler, mais le meubler complètement, et selon un schèma cher à leur auteur. Ce schéma est constitué par une bande transversale maintenue en place par deux triangles rectangle, opposés et égaux, situés, l'un dans l'angle inférieur droit, l'autre, dans l'angle supérieur gauche. Du coup, ces quatre figures, dont chacune eût peuplé un tableau, bourrent la toile, pleine à craquer. L'artiste a eu soin pourtant d'introduire, parmi ces pleins, des vides, qui occupent une place de plus en plus grande, à mesure que l'on monte du bas vers le haut, et que l'on va de la droite à la gauche de la toile. Le triangle de la droite est rempli par la baigneuse étendue, si rempli qu'il n'existe pas d'espace libre entre cette figure puissante et l'hypoténuse du triangle, j'allais dire le rampant de ce demi-fronton auquel sont tangents sa tête, ses genoux et ses pieds. En voici un, en haut à droite, entre la serveuse et le cadre, auquel répond un autre, son symétrique exactement, en bas à gauche. Et la figure du bourgeois est séparée de celles qui le balancent de part et d'autre, par deux vides qui l'isolent et mettre en valeur sa fonction plastique de pivot de la composition (...) Comme certains Cubistes, Dufresne peuple sa toile jusqu'à la faire éclater.

..." Stylisation du dessin, traitement géométrique de la forme, rigueur de la composition, bourrage du tableau, les Ondines de la Marne accusent encore d'autres caractères cubistes. (...) Dufresne n'a pas recours sans doute aux subterfuges de Picasso : dépliement, rotation, superposition de plans. Il ne veut pas sortir de la représentation (...) Le dos et la croupe de la femme étendue, les épaules et les seins de la baigneuse ont tout leur poids, toute leur rotondité... "

..." La profondeur spatiale ne saurait s'accorder avec le respect du plan. Dufresne a donc bien soin de l'éviter, oublieux des règles de la perspective et indifférent au jeu des valeurs. Il ne créé ainsi ni l'espace géométrique des Florentins, ni celui, aérien, des Impressionistes. C'était se condamner à renoncer, d'une part à traduire l'enveloppe lumineuse, et à rechercher de l'autre le décor. Qu'on compare les Ondines de la Marne à des scènes analogues traitées par les Impressionistes ou par leurs descendants, le Déjeuner des canotiers de Renoir, le Dimanche à la Grande Jatte de Seurat ; qu'on les confronte même avec Les demoiselles de la Seine de Courbet ; et l'on se mettra tout de suite à haleter dans l'univers de Dufresne, à y marcher en tâtonnant, comme un homme dans la nuit. Point d'air dans sa peinture, et guère de lumière, ou une lumière spéciale, spécifiquement picturale, aussi éloignée de la lumière du jour que des lumières artificielles, une lumière noire qui ne sert pas à éclairer les formes, mais à en accuser seulement la présence. On conçoit donc l'allure spéciale du coloris de Dufresne. Pas de teintes éclatantes à la Renoir, pas d'harmonies délicates, comme chez Seurat, pas de tons robustes, ainsi que ceux de Courbet : un monde de terres sourdes, où, parfois, grondent des rouges vineux et des verts étouffés ; un puritanisme hypercubiste de palette. "

..." Mais si les Ondines doivent au Cubisme tous ces caractères, elles en présentent d'autres par lesquels elles s'opposent à lui. (...) Pour ceux-là (Braque et Picasso, NDLG*), c'est l'art, et c'est l'homme pour celui-ci (Dufresne, NDLG*). (...) Il donne à sa peinture une portée morale qui l'empêche d'adhérer absolument à l'esthétique inhumaine du Cubisme. Les tableaux de Dufresne ne sont pas seulement un ensemble de formes ; ce sont aussi des images de la vie et des jugement portés sur elle (...) Ses formes définissent un caractère, une société et un temps. "

Enfin, d'une manière générale :

"Ses croquis antérieurs à 1910 montraient déjà des stylisations (...) Mais ce qui n'était que pressentiment avant la cure du Cubisme devint ensuite une certitude, une certitude qui s'imposera tellement à Dufresne qu'il donnera toujours à ses formes une armature géométrique (...) Mais le Cubisme lui enseigne surtout que la vérité de l'art n'est pas celle de la vie. Le monde a ses raisons que l'art ne connaît pas. Décrire la vérité du monde, rendre compte de ses raisons, c'est mentir artistiquement (...) L'artiste doit donc inventer. De cette conclusion, Dufresne tira deux conséquences : d'abord il n'essaya jamais de donner dans sa peinture une copie de l'objectif ; son art n'est pas de nature descriptive, mais allusive. Il ne représente pas, il traduit. Ensuite, l'artiste comprit qu'il pouvait légitimement livrer libre cours à son imagination. Loin d'être mensongère, sa peinture n'en serait que plus authentique. Il n'hésita donc pas à laisser parler ce qu'il y avait en lui de plus original : sa fantaisie imaginative. "

..." C'est surtout l'Afrique du Nord qui lui fournit ses thèmes. Il y avait vécu de 1910 à 1912 comme pensionnaire de la Villa Abd-el-Tif** près d'Alger, et c'était là qu'il s'était trouvé soudain. L'Afrique l'avait révélé à lui-même, et, dès 1912, Dufresne était devenu Dufresne.

Action capitale, mais curieuse, et dont il importe de préciser les modalités. Bien que le peintre ait exposé dès 1914 un Spahi qui fit sensation, ce n'est pas l'Orientaliste que le Moghreb accoucha en lui. Soit que l'influence de la guerre eût contrarié celle de l'Algérie, soit qu'une lente maturation fût la loi de Dufresne, le peintre, lorsqu'il se découvrit, semblait avoir oublié l'Afrique, que rien ne rappelait dans ses premiers chefs-d'oeuvre, ceux de sa manière cubiste. Ce ne fut que longtemps après son départ d'Alger, en 1920, que l'artiste demanda à l'Afrique du Nord les sujets de ses tableaux. Mais peut-on dire qu'il lui demanda des sujets ? Il serait plus juste d'écrire : des prétextes. Voici si longtemps qu'il a quitté cette terre qu'il a assez assimilé ses souvenirs pour qu'ils fassent partie intégrante de lui-même, et qu'en peignant leur image colorée, il créé une oeuvre poétique et point du tout descriptive. Dufresne s'oppose aux Orientalistes orthodoxes, à Dinet par exemple. Ce ne sont point des spectacles véridiques qu'il peint, de ces scènes qui retiennent les peintres par un pittoresque de mauvais aloi. La vie du Moghreb transfigurée par le souvenir n'est que le tremplin de son rêve, et il n'y a pas de différence essentielle entre ses scènes imaginaires illustrant la fable ou l'histoire et celles qui s'inspirent de la vie africaine.

(...) Si ces dessins destinés à l'élaboration de ses compositions copient la réalité avec une objectivité impassible, son imagination reprend ses droits, quand il aborde l'oeuvre élaborée (...) La Villa Abd-el-Tif a mis en branle son imagination, qui, après un départ ralenti par les circonstances, les événements politiques, le milieu artistique, démarra à toute allure, après 1921, pour un voyage-fusée, que la mort seule interrompra. Après - et au-dessous de Delacroix - Dufresne est le visionnaire de l'Afrique du Nord, le lyrique chez qui elle déclencha le rêve. "

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* NDLG : Note de la Galerie

** petit palais situé dans la campagne de la commune d'Alger qui a hébergé de 1907 à 1962 des peintres venus de métropole sur le principe de la villa Médicis à Rome et, plus tard, de la Casa Vélasquez à Madrid. Le prix Abd-el-Tif, décerné sur concours, créé en 1907, en a fait une institution qui a beaucoup contribué au rayonnement artistique de l'Algérie.

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Expositions

Quelques expositions parmi d'innombrables :

1905: Paris, Salon de la Société des artistes indépendants

1922: Paris, galerie Barbazanges

1923: Paris, Salon des Tuileries

1929: États-Unis, Cambridge, Fogg Art Museum, « French Paintings of the 19th and 20th Centuries »

1930: Paris, galerie Georges Petit, « 100 ans de Peinture Française »

1930: États-Unis, New York, Museum of Modern Art, « Painting in Paris »

1931: Paris, galerie Dru, « Peintures, gouaches et pastels de Charles Dufresne »

1933 et 1936: : États-Unis, Pittsburgh, Carnegie Institute, « Annual International Exhibition »

1937: Paris, Petit Palais, « Les Maîtres de l'Art Indépendant 1895-1937 »

1937: Paris, École nationale des beaux-arts, « Commandes de l'État »

1938: Paris, galerie du Nouvel Essor, "maquettes des commandes de l'Etat à Charles Dufresne"

1938: Italie, Biennale de Venise, « Hommage à Charles Dufresne »

1938: Pays-Bas, La Haye, musée municipal, « L'Orient et l'Algérie dans l'art français »

1942: Paris, galerie de France

1944: Paris, musée de l'Orangerie, « Cartons et tapisseries modernes des manufactures nationales »

1947: Algérie, Alger, musée national des beaux-arts, « Charles Dufresne et Jean Launois »

1966: Grande Bretagne, Londres, Sphinx Gallery, « Dufresne Paintings & Watercolors »

1971: États-Unis, New York, Hirschl & Adler Galleries, « Charles Dufresne, A Retrospective Exhibition »

1972: Suisse, Lausanne, galerie Paul Valloton, « Exposition rétrospective Charles Dufresne »

1975: Paris, galerie René Drouet, « Hommage à Dufresne »

1987: Paris, musée d'art moderne de la ville, « L'art indépendant »

1987-1988: Troyes, musée d'art moderne, « Charles Dufresne, rétrospective »

1988: Granville, musée d'art moderne Richard Anacréon, « Charles Dufresne, Hommage de son pays d'origine »

1994: Paris, Bibliothèque nationale, « Charles Dufresne : L'œuvre gravé »

2000: Paris, galerie Zlotowski, « Charles Dufresne »

2001: Paris, galerie Claude Guillemot "Charles Dufresne, œuvres sur papier"

2009: Paris, galerie des Gobelins, Mobilier national, « Élégance et Modernité : 1908-1958 », Canapé Les Plaisirs de la Plage, cartons de tapisserie de Charles Dufresne sur un mobilier de Rollin

2012 : Saint-Tropez, musée de l'Annonciade, « Charles Dufresne, un rêve oriental »

2012 : Metz, Centre Pompidou, « 1917 », trois œuvres des collections nationales datées de 1917

2014 : Saint-Tropez, musée de l'Annonciade, « La couleur sous la lumière de l'Orient : de Delacroix à Matisse »

Bibliographie

André Lhote, « Charles Dufresne », in La nouvelle Revue Française, 26e année, no 301, Octobre 1938, p. 686

François Fosca, Charles Dufresne, Bibliothèque des arts, Lausanne, 1958

Charles Dufresne 1876-1938, catalogue de la rétrospective au musée d'art moderne de Troyes, 1987

Charles Dufresne, Hommage de son pays d'origine, catalogue de l'exposition à Granville, 1988

Thomas Dufresne, « Catalogue raisonné de l'œuvre gravé de Charles Dufresne », in Nouvelles de l'estampe, no 134, 1994, p. 3-40

Michel Charzat, La Jeune Peinture Française : 1910-1940, une époque, un art de vivre, 2010

Charles Dufresne, un rêve oriental, catalogue de l'exposition du musée de l'Annonciade à Saint Tropez, 2012

Résultats de ventes

Le record, que nous connaissons, des oeuvres de Charles Dufresne en vente publique a été établi chez Sotheby's le 17 novembre 2004 à Paris. €74.400 + 25% de frais, soit €93.000 pour une huile sur toile de 130 x 161 cm intitulée "Musique dans l'oasis". Le montant actualisé en mai 2018 : €110.390 ou $161.250 USD.

Puis "Les chevaux de bois aux Champs-Elysées" (FF300.000 fdvi, €43.500) huile sur toile à Drouot, Paris en 1990, "La vie recommence" (FF237.500 fdvi, €35.700) huile sur toile à Drouot, Paris, en 1993, etc...

Vous trouverez ci-dessous d'autres résultats avec photos. Pour calculer le montant actualisé, utilisez un convertisseur de monnaie avec conversion dans le passé.

Sotheby's - 17 novembre 2004 - Paris

Musique dans l'oasis

hst 130 x 161 cm

Prix réalisé : €74.400, soit €93.000 fdvi

€110.390 actualisé en mai 2018

Prix réalisé : €37.700 fdvi

Retour de chasse

hst 211 x 292 cm

Artcurial - 28 novembre 2017 - Paris

Millon - 20 avril 2012 - Paris

La coiffure ou la toilette

hst 190 x 130 cm

Prix réalisé : €20.000, soit €25.000 fdvi

Compotier et bouquet

hst 61 x 50 cm

Prix réalisé : €18.500, soit €23.100 fdvi

€26.650 actualisé en mai 2018

4 février 2007 - Troyes